W6N – 001 – Dusko Popov : L’espion qui inspira James Bond

En cette soirée d’été 1941, un homme déambule dans les allées du Casino Estoril, en direction du bar, dans un mélange de fumée et de sueur qui caractérise bien souvent ce genre d’endroit.  
En poche, une importante somme d’argent, dont le montant exacte varie en fonction des sources et qu’il doit remettre à un de ses contacts.

A cette époque, le Portugal, qui n’est pas engagé dans le conflit qui secoue le reste de l’Europe, est devenu un refuge pour de nombreux exilés et un véritable nid d’espions.

Alors qu’il sirote des verres d’alcool, notre homme est attiré par la voix d’un joueur de baccara qui s’esclaffe “Banque ouverte”, ce qui sonne comme une provocation.
Le joueur en question, un Néerlandais Juif du nom de Bloch, n’est pas inconnu de notre homme.  
Leur chemin se sont déjà croisés et ils se détestent copieusement.

Sans doute galvanisé par le doux breuvage qu’il a ingurgité, notre homme, un agent double envoyé en Angleterre par le régime Nazi, s’approche de la table de jeu et y jette l’intégralité du contenu de sa poche, attirant forcément tous les regards vers lui, dont celui d’un agent des services de renseignements de la Royal Navy au regard blême.

En s’installant, notre agent se tourne vers le croupier demandant si la banque couvre les possibles pertes de son adversaire du soir.
Malheureusement la réponse est négative et l’homme quitte les lieux furibards non sans avoir porté une humiliation publique au beau parleur qui allait probablement y réfléchir à deux fois avant d’annoncer une banque ouverte à l’avenir.

Le nom de notre agent ? Popov, Dusko Popov !

Si cette scène vous semble familière c’est qu’elle a inspiré l’agent des services de renseignement au moment d’écrire son premier roman : Casino Royale. Un hommage dont Ian Fleming ne s’est jamais caché sans que cela ne flatte outre mesure le principal intéressé pour qui Bond n’aurait pas fait long feu sur le terrain.

Tricycle était en effet le nom de code de ce Serbe engagé par l’Abwehr, les services de renseignements nazis, et qui officiait en tant qu’agent double pour le compte des Britanniques. Ce qui lui valut ce surnom de l’autre côté de la Manche. Une autre histoire raconte que celui-ci lui aurait été attribué car il était toujours accompagné de deux belles créatures à chaque bras. Un côté playboy qui n’est pas sans rappeler un certain agent de papier…

Pourtant ce fils d’une riche famille serbe né en 1912 aurait très bien pu rester loin du conflit engagé par l’Allemagne d’Adolf Hitler.

Mais en 1936 alors qu’il étudie le droit à Fribourg-en-Brisgau il est arrêté par la Gestapo après s’être ouvertement moqué des théories nazies dans le cadre d’un cercle étudiant.

Après huit jours d’interrogatoire Popov est libéré grâce au concours d’un ami qui a contacté son père afin qu’il fasse fonctionner ses relations.

Libéré, il quitte l’Allemagne avec une dette envers cet ami un certain Johann Jebsen qui reprendra contact avec Popov en 1940 au travers d’un télégramme urgent.

C’est ainsi que les deux hommes se retrouvent le 8 février à l’hôtel du roi de Serbie à Belgrade.
Jebsen est devenu, contraint et forcé, membre des services de renseignements nazis et il a besoin de Popov pour mener à bien une vente de bâteaux allemands. D’abord réticent, Popov se souvient du rôle de son interlocuteur quatre ans plus tôt et accepte la mission qui lui est confiée.

Suite au succès de celle-ci, l’Abwehr lui propose de se rendre en Angleterre pour espionner les Anglais. Dusko accepte avec une idée derrière la tête. A peine a-t-il posé le pied sur le sol britannique qu’il se rend à l’Ambassade pour proposer de jouer les agents doubles. S’il n’a pas oublié qu’il doit une fière chandelle à Jebsen, il n’en a pas pour autant remisé son aversion pour le régime nazi.

Il participera ainsi à l’opération Fortitute, visant à désinformer l’Allemagne au sujet du possible débarquement allié du 6 juin 44, en se servant de sa couverture dans l’import/export. Une autre similitude avec le personnage de Fleming.

Avant cela il tentera de prévenir les Américains de l’attaque planifié de Pearl Harbor par les Japonais, mais J Edgar Hoover ne voyait pas d’un bon œil cet homme aux mœurs frivole qui était d’ailleurs sous le coup du Mann act pour proxénétisme.

En 1972 il publiera ses mémoires avant de s’éteindre le 10 août 1981 dans le petit village de Opio dans le sud de la France.

Popov n’est évidemment pas la seule source d’inspiration du romancier qui a également dans sa propre expérience et a nourrit ses romans d’une bonne part de fantasme. Certains historiens doutent même des liens réels entre le Serbe et le Britannique. Est-ce que Popov a volontairement exagéré ses accointances avec le plus célèbre des agents secrets pour gonfler son égo ? Pas impossible, toujours est-il qu’il a également participé au mythe du personnage qui cartonne au box-office depuis plus de 60 ans.